Rendre hommage.

❝ Rest my Love,
For there is no better dream
For you to live now. ❞

T H E M E

Quiconque croisait la route du Roi Tinuviel alors qu’il partait en direction de la cour privative savait de quoi il en retournait. Rendez-vous journalier, rituel solennel ou encore routine funèbre… Chacun avait son propre terme pour définir les actions de Noctis. Pourtant cette fois-ci le monarque n’était pas parti rendre visite à son Astre déchu..


J’étais en pleine réunion budgétaire lorsqu’un chevalier vint interrompre mes échanges avec les différents conseillers. Vêtu d’un ensemble en cuir brun et noir près du corps, les cheveux attachés, le regard sérieux, il se dirigea d’un pas rapide vers moi. Il faisait partie de la Garde Lùin, un groupe d’une vingtaine d’individu trié à la volée chargé de veiller de plus près à la sécurité de Babylon. Mais aussi, et surtout, à Son jardin. Lùin voulait dire bleu en ancien dialecte, cela représentait son océan de vie – ses courants et températures -, ses prunelles tempétueuses, sa personnalité idyllique. Je relevai légèrement la main en signe de trêve diplomatique et les voix se turent. Chacun des conseillers baissèrent la tête en salut avant de se retirer rapidement de la pièce sans un mot. Je soupirai un grand coup avant de poser mon regard sur le soldat qui effectua une rapide inclinaison du haut du torse, avant de prendre la parole.



❝

Votre Altesse, la Reine Dragsyl vient de pénétrer dans le Jardin.

❞


Le chevalier Lùin n’ajouta pas un mot de plus alors qu’il recula d’un pas et il fit bien. Je grondai lourdement en dévoilant légèrement mes crocs, n’ayant pas vu le temps passer, le conseil avait traîné en longueur. Le gardien se releva sèchement et dégluti difficilement. Je me relevai vivement, ordonnant aux Lùin de se tenir à distance lors de notre futur échange. Il acquiesça sans un mot, prêt à me suivre. J’attrapais ma large cape bleue nuit en laine, arborée en son pourtour d’armoiries et de brocarts argentés. La posant d’un geste maîtrisé sur mes larges épaules habituées au poids de celle-ci. Je la sécurisais d’une broche représentant un croissant de lune, transperçant la doublure argentée en satin qui tranchait avec ma tenue d’un noir de jais. Je fis appel à l’une de mes épées cristallines qui apparue dans une nuée d’éclat à ma gauche. Je la fis glisser directement dans une ceinture porte-épée, un fourreau aurait été inutile vu le nombre d’épée différentes auquel j’avais accès.


Je me déplaçais d’un pas vif et aérien vers le premier balcon à disposition et sauta du troisième étage avec à ma suite le gardien, qui lui prit la peine de descendre petit à petit grâce à la façade de Babylon. En pleine chute, je discernai un attroupement non loin de la sépulture de ma défunte femme, je serra les dents. Cette descente n’était pas assez rapide à mon goût et chaque claquement de ma cape contre le vent me rappelait les secondes qui s’écoulaient inlassablement. J’aurais pu sans soucis me téléporter là-bas, car la bâtisse portait en son sein l’une de mes plus puissantes lames. Mais il aurait été mal venu d’apparaître d’un coup devant toute une suite d’Eliraan prêt à tout pour défendre leur régente.



❝

Je compte sur vous.

❞


Dis-je d’une voix dure en arrivant au sol. Le Lùin acquiesça et bondit hors de mon champ de vision, transmettant mes directives de distance et discrétion aux siens. Il n’était pas là question d’une manœuvre militaire mais d’une simple précaution. Après tout, je connaissais peu cette Reine, son caractère, sa manière de régner, ses conseillers… Cette rencontre était l’occasion de renforcer l’amitié naissante entre nos deux peuples et de me rassurer quant aux réelles intentions des Eliraans. Roncëlyon n’avait pas oublié, Elvendil saignait encore de ce vieux conflit et moi.. Moi...


Je traverse le Jardin d’un pas décidé, secouant mes pensées hors de ma tête. Une main dans la poche droite de mon gilet et l’autre sur la garde de ma lame. N’importe qui aurait pu être subjugué par la beauté de l’endroit, lumineux, luxuriant, coloré mais je le connaissais tant sur le bout des doigts que sa beauté maintenant faisait pâle figure. A moins que cela ne soit parce que ce lieu si nostalgique me comprimait le cœur à chaque pas. Il fallait dire qu’il avait été imaginé pour retracer la vie de notre couple royal. C’était toujours plus dur lorsque j’arrivais près des points d’eau, entourées de roses de diverses couleurs pastel mais aussi et surtout de lys de Latesran. Ces fameuses fleurs bleutées ou violettes qui se ferment en journée et ne fleurissent qu’aux premières lueurs lunaires en libérant une nuée de pollen lumineux… Et de nouveaux souvenirs m’assaillirent.


C’était là-bas, à Latesran, que je lui avais annoncé la mort de Nyx. Je me souviens de sa voix tremblante, de ses larmes, de son refus d’y croire, de sa colère. Puis vint le rejet, véhément tel un poison s’insinuant au plus profond de mon âme. Et enfin, la compréhension, suivi de l’envie de vengeance. Douce et cruelle vengeance... J’inspirai hâtivement, comme si je manquais d’air alors que j’extirpais mes pensées de ces souvenirs qui mêlaient bien des émotions. Je repris mes esprits et ma marche à travers un chemin arborée de haies qui faisait presque deux fois ma taille. J’y étais presque.


Enfin, la large structure d’albâtre se dévoila et avec elle un attroupement digne d’une visite royale. Mon cœur s’emballait un peu, perdu sur ce qu’il était censé faire à cet instant. Il n’y avait pas pire endroit pour une rencontre diplomatique. J’étais si habitué à me recueillir ici que je craignais de ne pas être à la hauteur de ma réputation. Je serra le poing contre mon épée à m’en faire mal pour me ressaisir une bonne fois pour toute. Je me devais de faire bonne figure, pour mon peuple, ma famille et mon rang. L’allure devint plus fluide et aérienne, la silhouette plus imposante en se redressant et un air bienveillant se dessina sur mon visage. Après quelques secondes de plus, j’atteins enfin le regroupement composé de gardes et de servantes. Deux de mes propres gardes assignés à l’entrée de mon jardin secret annoncèrent mon arrivée et le groupe instinctivement se scinda en deux pour me laisser passer. Je ne portai pas attention à leurs réactions et encore moins aux chuchotements qui suivirent. Une Eliraan plantée devant le duo le plus emblématique de notre Royaume était une priorité plus.. absolue.


Mon regard fit un rapide tour de l’endroit, tout semblait à sa place, mit à part quelques pétales dérangées. On pouvait clairement distinguer le chemin que la Reine Dragsyl avait emprunté pour visiter ce lieu sacré. Elle avait contourné les parterres de fleurs et de végétaux grimpants pour rejoindre le Grand Noiraud endormi puis elle avait fait quelque pas pour se rapprocher du tombeau. A la vue de celui-ci, évidemment mon cœur se serra. Je doutais un jour de me familiariser à la vue de ce lieu si chargé d’émotions, de souvenirs et de regrets. Toujours à l’entrée, je me décida enfin à avancer alors que la régente Eliraan apposait près d’Elle un bijou. Voilà une attention qui ne passait pas inaperçu à mes yeux, elle était donc une personne empathique et généreuse.



❝

Puissions-nous trouver la même paix que la vôtre.

❞


Sa voix calme et sereine, fit légèrement écho dans le mausolée, brisant le silence à peine perturbé par le vent, la faune et les chuchotements maladroits derrière moi. Je continuais d’avancer d’un pas mesuré, sa phrase agaçant mes pensées torturées. Arrivant à sa hauteur, je me stoppa sur sa gauche. Dégainant mon épée que je plaça devant moi, je m'agenouilla, tête basse, devant le corps pétrifié, froid et sans âme qui trônait sur le tombeau. Mes mains nouées autour du pommeau se mirent à trembloter et je serra les poings pour les stopper. Il n'était pas question de montrer trop de faiblesse, ce n'était pas digne d'un monarque. Je garda le silence un instant avant de me relever et de ranger mon épée à ma taille, l'esprit tourmenté par les propos de la femme Eliraan. Avait-Elle réellement trouvé la paix ? Étais-ce ce genre de fin - hâtive, douloureuse et héroïque – qu’Elle avait souhaité ? Étais-je capable de respecter cette paix pour mon peuple, pour tous ces innocents ; alors que mon âme hurlait vengeance ? Douce et cruelle.. vengeance…



❝

Reine Dragsyl, j’espère que vous avez fait bon voyage, pardonnez mon retard. Bienvenue à Elvendil. Votre générosité est inattendue mais appréciée, je suis sûre que ce bijou lui aurait allé à ravir.

❞


Dis-je d’une voix calme mais tinté d’une tristesse dissimulée. J’affichais un demi-sourire en me rapprochant de la régente. J’attrapai le bracelet d’un geste lent et doux, pour le glisser autour du poignet de ma défunte bien-aimée, figée dans la pierre.



❝

Ce ne sera jamais plus beau que sur sa vraie peau d'albâtre mais voyez-vous même..

❞


Ajoutais-je, en contemplant le bon gout de la souveraine.


— Noctis Tinuviel —
#F8D153

fiche créée par ell

Rendre homage.

❝ One calamity at a time,
to the end of the world. ❞

❝

En effet. Mais il n’est probablement pas aussi beau qu’elle le fut de son vivant.

❞


Élogieuse, elle se permettait de complimenter ma défunte femme. Comment pouvait-on faire un rapprochement entre la beauté d’un bijou et la pureté de son âme ? Ces mots m’arrachèrent une légère grimace maintenant que je les trouvais déplacés. Depuis que l’Étincelle n’était plus, il était difficile pour moi d’entendre quiconque parler d’Elle. La moindre parole à son égard me rendrait sombre et irritable très rapidement. Même le plus doux des compliments sonnait faux et froid, comme un coup de poignard en plein dos. La générosité de la reine se transformait en poison qui s’insinuait dans chaque parcelle de mon corps. Je sentais que Willelhmina m’observait alors que mon regard perdu se focalisait encore sur le dit-bijou. Puis elle reprit la parole alors que je m’étais muré dans le silence pesant.



❝

Le voyage fut long, mais je suis heureuse d’être venue jusqu’ici par moi-même. Beaucoup m’ont vanté la beauté d’Elvendil, mais ils sont bien en dessous de la vérité. Je suis désolée de venir après toutes ces années, j’aurai dû me déplacer plus tôt. Les obligations du trône m’ont retenue.

❞


Vérité ou mensonge. Ses excuses n’ont pas réelle importance à mes yeux. Son envie de Lui rendre hommage non plus. Pour les Tinuviel, Willelhmina Dragsyl n’était que la reine d’un peuple instable qui était responsable de la plus grande perte de leur vie immémoriale. A défaut du contraire, pour l’instant, mes mœurs à son sujet n’avaient pas changé. Tout ceci semblait juste être une formalité qu’elle se devait de remplir. Je ne ressentais pas encore ce sentiment d’honnêteté. Je restais méfiant, distant, jouant le rôle d’un roi face à une reine. Toujours face à la pierre, j’acquiesçais à ses propos d’un hochement de tête lent, le regard figé sur l’anneau gravé à l’annulaire de sa main gauche.



❝

Nous avons tous des obligations qui nous retiennent.

❞


Répondis-je, sûr qu’elle en comprendrait le double sens. La famille, le mariage, la colère, le deuil, la régence… Nous les rois avions bien des responsabilités. La reine Eliraan avait presque le même parcours. Nous avions eu vent à Babylon de la perte de leur roi et de la princesse. Elle avait donc perdu presque autant que moi. Pourtant, à mes yeux, mon chagrin était bien plus lourd. Et mon deuil à peine entamé. Je portais encore mon alliance, comme si tout ceci n’était qu’un cauchemar. Notre parcours avait commencé au même moment mais nos chemins étaient bien différents. Willelhmina avait eut un corps à pleurer, elle avait pu se venger en partie en se lançant dans cette chasse aux extrémistes. Moi, j’aurais donné n’importe quoi pour passer mes nerfs sur l’un d’entre eux. Aussi sombrement et sauvagement que mon essence de vampire me l’aurait permise. Il n’y aurait eu aucunes barrières. Ni empathie, ni honneur, ni dignité. Quitte à perdre à jamais ce qu’il me restait d’humanité.


En attendant, je n’avais pas eu cette chance là. Et c’était peut-être là, la cause de ces tourments qui me hantait. Je me ressaisi enfin, me détournant de l’Éclat d’albâtre pétrifiée pour poser mes iris ambrées sur la reine Dragsyl qui m’observe toujours. Était-elle capable de lire derrière ce regard assombri, figé et terni sans avoir connu l’iridescence de l’âge d’or ? Je me demandais si elle avait conscience de l’ampleur du mal qui se cachait derrière ce voile royal. Le sien, comme le mien.



❝

Elvendil n’est plus que l’ombre d’elle-même malheureusement. Nous avons prit du retard sur les travaux de reconstruction. Nos routes ne sont pas des plus agréables avec tous ces gravats. Vous m’en voyez désolé. Pour compenser cet inconfort, sachez que le quartier des invités de l’aile sud de Babylon vous a été réservé. Il y a évidemment de la place pour toute votre suite.

❞


Ajoutais-je en lui offrant un faible sourire par politesse. Le contraste entre mon attitude et mon état d’esprit me surprenait moi-même. Je tenais bon. Je me décalais de soixante degrés, repoussant ma large cape en laine d’un geste vif, je tendis le bras vers l’extérieur, invitant la reine.



❝

Une visite plus poussée de notre belle ville vous intéresserait-elle ? A moins que vous ne préfériez vous reposer dans vos quartiers ?

❞


Proposais-je d'une voix apaisante. Ma courtoisie n'était que pure étiquette et respect. Pour les Eliraans mais aussi pour Elle. Je savais que cette tentative de coopérer, de créer une réelle alliance pour pardonner, évoluer et accepter, était ce qu'Elle aurait voulu... Mes mots étaient donc sincères et une visite des lieux pourraient prouver que nous aussi, nous avions perdu beaucoup dans la guerre. L'assaut des Ancestraux sur Elvendil avait eut des répercussions catastrophiques. Des blessures qui ne faisait que commencer à cicatriser.



— Noctis Tinuviel —
#F8D153

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